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La procrastination est-elle une pathologie ?

La procrastination est-elle une pathologie ?

Cette “tendance à remettre au lendemain, à ajourner, à temporiser ce qui pourrait être fait le jour-même” n’est pas une nouveauté. Le poète grec Hésiode en 800 av. J-C en parlait déjà à son époque. En revanche, il semblerait que la procrastination soit devenue un phénomène de grande ampleur actuellement. En l’espace de 40 ans, elle aurait augmenté de 300 à 400% (source : Diane Ballonad-Rolland, J’arrête de procrastiner, 21 jours pour arrêter de tout remettre au lendemain, Eyrolles). Elle toucherait 2O% à 40% des adultes (selon les sources) et 50% à 95% des étudiants. Selon l’étude réalisée par OpinionWay en 2018, 72% des actifs et des étudiants déclareraient procrastiner. Autant dire, une très grande partie de la population.

La procrastination s’avère être un sujet plutôt complexe. Il existe une véritable mosaïque de définitions aujourd’hui et aucune ne fait vraiment consensus. Pourquoi ? Parce qu’elle cache en vérité des réalités très diverses. C’est dommage car, aujourd’hui, la procrastination est stigmatisée et est considérée comme l’un des maux du siècle, une pathologie, un vice, au mieux un défaut et est communément associée à la paresse. C’est d’autant plus vrai depuis le 19è siècle et l’avènement de la révolution industrielle où la procrastination apparaît comme contraire aux valeurs telles que l’accomplissement de soi par le travail.

La procrastination, du latin “pro” = en avant et “crastinus” = lendemain, est donc au sens littéral la tendance à repousser à plus tard ce que nous savons que nous avons à faire.

Les chercheurs distinguent deux types de procrastination :

  • La procrastination passive qui serait liée à un “déficit d’auto-régulation” de ses pensées, émotions, impulsions ou comportement, un haut degré d’impulsivité, une faible estime de soi et une basse motivation. Dans ce cas, la procrastination génère de la souffrance.
  • La procrastination active qui serait liée à un fort processus d'”auto-régulation” au contraire et à un choix délibéré de reporter son action à plus tard dans la mesure où la personne serait consciente d’être bien plus efficace dans l’urgence. Dans ce cas, elle sait pertinemment ce qu’elle fait et n’en souffre pas.

Rentrons un peu plus en profondeur sur les principes qui sous-tendent la procrastination passive. En apparence, elle pourrait se résumer à faire passer le plaisir avant le devoir, à obtenir une gratification immédiate et à retarder l’exécution d’une tâche vécue comme pénible. C’est ce que l’on voit “à la surface”. Or, de nombreux mécanismes peuvent être en cause de manière sous-jacente :

  • La non-maîtrise de la tâche : c’est difficile, je ne sais pas comment on fait, c’est l’inconnu, je n’ai aucune expérience précédente dans le domaine, il me manque des connaissances, des compétences ou de l’expérience → J’ai peur de ne pas y arriver et je me représente les choses comme une montagne
  • Le sentiment d’incapacité : je ne sais pas le faire et je le sais, je vais mal le faire, je me sens nul → Je n’ai pas confiance en moi
  • Le perfectionnisme : j’aime quand tout est parfait or je n’arriverai pas à effectuer parfaitement cette tâche, mieux vaut ne rien faire que mal le faire → Je ne sais pas faire les choses à moitié
  • Un objectif trop lointain : je n’arrive pas à me représenter les bénéfices car l’échéance est trop lointaine → Je suis déconnecté(e) des conséquences négatives sur le long terme
  • Le manque de visibilité ou de clarté : je n’ai pas une vision claire de ce que je dois faire. Que dois-je faire exactement ? Par où commencer ? → Je ne vois pas à quoi cela ressemble
  • Le manque de sens : ce que je dois faire n’a aucun sens pour moi. Je dois faire quelque chose pour satisfaire les besoins de quelqu’un d’autre mais pas les miens ou bien c’est contraire à mes valeurs → Je ne vois pas à quoi ça me sert
  • La fatigue : je me sens très fatigué(e) et je n’ai aucune énergie → Je n’ai simplement pas la force
  • Les troubles de l’attention ou de concentration : Ah bon ? Je devais faire ça ? → Je n’avais pas en tête ce que j’avais à faire
  • La tolérance faible aux consignes, aux ordre, au contrôle par les autres : je n’aime pas que l’on me donne des ordres ou que l’on me dise ce que je dois faire, je préfère décider seul(e) ou faire à mon idée → J’agis lorsque c’est moi qui le décide uniquement
  • Le déni de l’importance : ce n’est pas important ni urgent pour moi, ce n’est pas grave → Je ne perçois pas le danger
  • La dépression : je n’ai pas envie de le faire ni la force, je n’ai envie de rien d’autre non plus → Je suis déprimé(e) ou en dépression
  • Etc (j’en oublie sûrement)

On voit donc bien que les ressorts sous-jacents sont variés. Ils indiquent une absence de compétences, une résistance passive voire passive-agressive à une demande externe ou à une pression, un manque de vision ou de sens, une mauvaise estime de soi ou une dépression masquée ou avérée (si cela dure depuis longtemps et que cela concerne tous les pans de la vie) dans le pire des cas.

Mais dans le cas de la procrastination active, il s’agit d’autres ressorts :

  • Une gestion du temps différente : je sais que je peux le faire plus tard et que l’arrivée de l’échéance va me stimuler en motivation et en efficacité → L’urgence me dynamise
  • Une gestion des priorités différente : je remets à plus tard ce qui n’est ni urgent ni important et je fais dans les temps ce que je dois faire ou bien je délègue → J’ai une vision claire de ce que je dois faire
  • Une obéissance à des critères de référence interne : je fais ce qui est en accord avec mes valeurs, mes besoins, mes priorités, car cela donne du sens à ma vie → Je privilégie l’important tout en gérant ce qui doit être fait obligatoirement, je choisis, je n’ai pas le sentiment de subir
  • La recherche de l’état de “flow : Certains individus recherchent en conscience le “flow”, cet état de concentration intense dans lequel on se sent complètement absorbé par ce qu’on fait et qui se produit lorsque l’on est plongé dans la tâche à accomplir, ce moment où l’on “donne” tout.

Il n’y a donc pas, comme on peut le voir, un profil type de procrastinateurs. La procrastination n’est pas une maladie de mon point de vue en tant que telle, elle n’est qu’un comportement révélateur d’autre chose (qui peut être aussi pathologique). Et ce comportement n’est pas préjudiciable en lui-même tant qu’il ne se confond pas avec de l’irresponsabilité ou du manque de discernement et qu’il n’a pas de lourdes conséquences. Pour certains, ce serait même une caractéristique innée, un tempérament lié à d’autres caractéristiques positives de comportement (de créativité notamment).

Pour David d’Equainville, auteur de Demain c’est bien aussi et initiateur de la “Journée mondiale de la procrastination” depuis 2010, “la procrastination est une défense immunitaire face à une société extrêmement rude, un moyen positif de se défendre des assauts du monde contemporain”. La montée de la procrastination pourrait effectivement bien être en lien avec une pression de la société de plus en plus forte et pesante à laquelle certains peuvent réagir en traînant des pieds, en tombant en burn-out ou en dépression. N’oublions pas que nous vivons dans une société qui valorise la performance et l’action au détriment de l’être. La procrastination comme outil de résistance passive inconsciente ?

Nous pouvons en conséquence nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous procrastinons, s’il y a réellement préjudice et/ou souffrance, auquel cas, il est bon de creuser et de se pencher sur le problème sous-jacent. Mais nous interroger aussi sur le fait qu’un grand nombre de personnes soient concernées par ce phénomène. Étrange, non ?

Peut-on alors vraiment parler de maladie ?

Crédit photo : Pixabay